Texte du discours de son fils Claude.
Papa, Otto Georges WEISS, en ce
jour du 31 mai, nous tes enfants, petits-enfants, tes connaissances et surtout
ta femme Huguette, souhaitons te rendre hommage pour toutes les actions que tu
as menées au cours de cette douloureuse période entre 1939 et 1945.
Dans le maquis, tu étais plus
connu sous le pseudonyme de Serge et parfois avec le surnom de Zazou.
Nous souhaitons aussi rendre
hommage à tous ces combattants de l’ombre, à tous ces maquisards qui n’ont pas hésité à combattre la barbarie
nazie bien souvent au détriment de leur vie, sans oublier tous ces paysans
assassinés par la milice et les SS notamment tous ceux d’un village, celui des
Brizolles, village mis à feu et à sang. Ce qui n’a pas empêché notre grand père
Michel JONARD, paysan à Charasse de cacher chez lui des armes appartenant aux
maquisards et de les aider en partageant
ses récoltes. Notre grand père avait deux filles. Notre père épousa en première
noce Alice JONARD à la Libération, malheureusement décédée.
C’est en ce lieudit la Pourière,
ici, sur cette terre que nous foulons de nos pieds ce jour que notre père ainsi
que 22 autres hommes du maquis ont été arrêtés le 4 février 1944 par une
centaine de GMR (Groupes Mobiles de Réserve) et une dizaine de miliciens sur
trahison du milicien infiltré Georges GOUVERNEUR dont le pseudonyme était JO
dans le maquis.
Je ne vais pas faire une
biographie de notre père, biographie que vous pourriez trouver d’une façon succincte
sur les sites internet www.afmd-allier.com et www.memorist.org, mais simplement essayer de
vous faire partager en résumé les périodes de sa vie qui ont précédé et suivi
cette date du 4 février 1944, soit du 11 septembre 1942 au 30 avril 1945.
Ce 11 septembre 1942, après avoir
passé 15 jours en prison suite à une arrestation en gare de Montluçon, notre
père arriva sur le lieu de travail qui lui avait été imposé « le dépôt de
munitions de Saint Loup ».
Son travail consistait à
décharger les wagons des milliers d’obus de tous calibres, des milliers de
caisses de munitions. Un jour notre père reçut un colis accompagné d’une
lettre, la lettre jointe lue par l’officier, comme il était de rigueur, eut un
effet curieux sur le lieutenant en charge du dépôt de munitions.
Suite à cette lettre, le lieutenant
lui demande s’il voulait s’occuper de la bibliothèque du dépôt, ce que notre
père accepte avec plaisir. Il y avait plusieurs milliers de livres à
répertorier. Pour faire ce travail, on lui octroya une secrétaire qui devait
taper les fiches à la machine à écrire. Celle-ci se rendit compte qu’il
connaissait l’anglais et l’allemand et en fit part au Colonel Pernot qui
demanda de traduire des documents de français en allemand. C’est ainsi que le
commandant du camp (Schmidt) demanda à
notre père de l’aider dans le travail d’inventaire de stocks.
Pendant 2 mois, il parcourut donc
sous la houlette de deux sous-officiers artificiers les 12 hangars de munitions et une vingtaine de locaux
souterrains où il fallut tout dénombrer et tout traduire.
Or le jour où il commençait ce
travail, il rencontra par hasard un
lieutenant français qui lui avait déjà témoigné de la sympathie. Celui-ci avait
dit : « Allez voir l’adjudant Paul VALLIN, il sera heureux de
discuter avec vous ». Le soir même, Vallin lui dit qu’il se trouvait dans
une position qui intéressait les services de renseignement alliés et qu’il
devait pouvoir apporter des informations importantes.
Notre père avait une excellente
mémoire, il pouvait apprendre par cœur une page complète de mots et de chiffres
clés en ne la lisant qu’une seule fois sans prendre une seule note et de
rapporter les clés déchiffrées, un, voire plusieurs jours après. Il rapportait
à Vallin, chaque soir, tous les mouvements ferroviaires, les contenus des
wagons et les distinctions codées. Les anglais devaient, d’après Vallin,
bombarder tout le réseau ferré européen, il apportait donc des objectifs utiles
et précis.
Un groupe de résistants s’était
formé dans la région mi-février 1943 composé de réfractaires au STO. Il y avait
des stocks de munitions pour armes légères dans les hangars et notamment des
balles de revolver 7,65 ainsi que des balles 8mm pour les fusils Lebel et MAS
38. Tous les jours il prenait son vélo, remplissait la sacoche et apportait sa
cargaison à deux camarades BARON et LARTIGUES
qui encadraient un groupe de maquisards.
Le 30 avril Vallin fut arrêté à
Clermont Ferrand. Notre père qui se
sentait surveillé depuis le 15 avril brusqua son départ. Le 3 mai 1943, le
soir, il alla au rendez vous qu’il avait avec le chef de la résistance, lequel
lui donna des instructions pour rejoindre le maquis. Une fois arrivé dans le
village de Chargueraud, après être passé par Cusset, le Mayet-de-Montagne et Châtel-Montage,
il trouva la maison du passeur et un jeune homme au pseudo de Moustique le
conduisit dans son premier maquis, celui du Châtel-Montagne ; puis dans
celui des Ronons à côté d’Arfeuilles.
Il ira ensuite dans celui des Bois
Noirs et enfin dans celui de la Pourière. Il partagera avec ses camarades
maquisards, Julien Charpentier dit Toto, Raymond Moncorgé dit Mataf, Paul
Champeau dit Hilarus et Roger Kespy dit Mesmin ou capitaine Favart, nombre
d’aventures. Kespy qui avait fondé le 1er
maquis du Bourbonnais en mars 1943 était secondé par un ingénieur des Ponts et Chaussées
nommé Mercier.
Kespy fut assassiné le 25 juillet
1944 par les miliciens de Pétain et Darnand.
Quant à Mercier, il fut préfet à
la Libération.
Voici comment se sont déroulées
les dernières 48h avant le 4 février 1944.
Sa dernière aventure fut d’être
accompagné par Georges Gouverneur dit JO à Saint-Germain-des-Fossés. Sa mission
consistait à rencontrer un haut responsable de la Résistance, seul, sans Jo,
pour le sabotage du parc de locomotives qui se trouvaient sous les hangars.
Pour cela, notre père était parti de bonne heure de l’hôtel où ils dormaient Jo et lui pour être seul
avec son interlocuteur.
Jo arriva bien après que
l’entretien ait eu lieu et sembla très mécontent de ne pas avoir été présent à
l’entrevue. Jo était pressé, ils prirent
le train pour Vichy et en arrivant Jo lui dit : « RDV au café Cambrinus, je vais aller voir ma mère ».
Notre père n’avait pas envie de
rentrer dans ce café, il était resté au coin de la rue. Soudain il aperçut une voiture Mercedes à roues jaunes
suivie d’une traction avant d’où jaillirent une dizaine d’individus en
imperméables typiques.
En même temps il vit arriver d’un
pas nonchalant Jo qui regardait de loin la devanture derrière laquelle il était
censé se trouver. Notre père sortit de son recoin et attrapa Jo par un bras en
l’entrainant le plus loin possible alors que la Milice et la Gestapo fouillaient
le Cambrinus. Jo était interloqué et se
laissait tirer sans mot dire. Jo le remercia beaucoup de l’avoir sauvé. Ils
allèrent à Cusset pour prendre le tacot du Mayet-de-Montagne. L’idée semblait
très bonne à Jo. Il fallait attendre 2 heures le train. Jo dit qu’il pourrait
profiter du temps pour faire quelques courses.
Le tacot faisait un aller retour
par jour, de Cusset à Lavoine, en passant par le Mayet-de-Montagne, Ferrières-sur-Sichon,
de sinistre réputation, car la Milice avait son siège régional de tortures.
Notre père vit de loin que JO
était en discussion avec un individu. Il sauta dans le wagon de queue juste
avant le départ, puis vit Jo monter tranquillement. Dans le train, il vint
s’asseoir à côté de Jo, puis alla dans le couloir. A ce moment, une jeune fille
se leva à moitié et lui dit « Vous êtes maquisards, faites attention, j’ai
vu dans le train le chef de la Milice Fradin ». Notre père resta sur ses
gardes, vit 2 gendarmes monter au Mayet-de-Montagne et alla frapper sur
l’épaule de Jo, puis se précipita vers la plateforme et sauta à contrevoie et
courut pendant 10km jusqu’au cantonnement. A bout de souffle, il raconta son
aventure à Toto (Julien Charpentier).
Comme Gouverneur « dit Jo »
n’arrivait pas, le groupe de maquisards décida d’aller le délivrer à la
gendarmerie du Mayet. Ils entrèrent en arme dans la gendarmerie, sortirent les
gendarmes en caleçon, car ils étaient
déjà couchés. Sur ce, le brigadier demanda ce qu’ils voulaient. Quand
ils lui dire qu’ils recherchaient
Gouverneur, celui-ci leur dit qu’il n’était pas là, mais peut être avec
Fradin car, selon lui, il était au mieux avec la Milice du coin. Les maquisards
rentrèrent vermoulus de fatigue au cantonnement. Puis à l’aube, ils entendirent
des bruits et des cris « Vous êtes encerclés, sortez tous sans armes sinon
nous faisons feu ». A leur stupéfaction, le chef des GMR fit un appel
nominatif sans Gouverneur. C’était bien un milicien infiltré.
Notre père avait par deux fois
échappé à la Milice et à la Gestapo au Cabrinus à Vichy, puis au Mayet- de-Montagne,
alors que lui pensait sauver Gouverneur.
Pour avoir plus d’informations
sur Gouverneur, vous pourrez lire dans le journal « Le patriote » du
21 février 1947, histoire d’un traitre écrit par Paul Champeau qui était
professeur de grec et de latin.
Ce 4 février 1944, tous les
maquisards furent rassemblés dans un camion. Comme notre père en avait
l’habitude, il composa une chanson de circonstance « Nous voilà 23 sous le coup des lois, des décrets de la France
allemande ».
La première étape fut la prison
de Cusset, puis le lendemain la prison de Riom dans deux camions cellulaires
(Puy-de-Dôme). La cellule qu’il occupa pendant trois jours mesurait 3mx3m. Il
apprit que celle ci avait été le logement temporaire du général Gamelin, chef
suprême des armées françaises en 1939/1940.
Son interrogatoire ne fut guère
pénible, les inspecteurs lui demandèrent de valider les accusations qui
relataient fidèlement les activités du maquis.
Dès le lendemain, il retrouva ses
camarades dans une immense pièce qui lui rappelait son emprisonnement 18 mois
plus tôt à Montluçon.
Du 6 février jusqu’en juin 1944,
il resta prisonnier à Riom. Pendant cette période, il composa des chansons et
écrivit des poèmes. Une de ses chansons était très appréciée des résistants,
elle s’intitulait « Souvenez-vous, camarades ». Il l’avait écrite le
31 décembre 1943 sur une musique d’un film tiré d’un roman d’Erich Maria
Remarque « Après ».
Les prisonniers tentèrent une
grande évasion lorsqu’ils apprirent le débarquement des Anglo Américains le 6
juin 1944. Ils furent maitres de la prison durant 48 heures mais seulement des
locaux internes. Les GMR tirèrent à balles réelles. Il y eut des morts et des
blessés. Jean Zay, l’ancien ministre,
était aussi prisonnier, il avait une grande carte de l’Europe fixée au mur. Ses
épingles marquaient la position des armées. Il avait le privilège de recevoir
des journaux et aussi de recevoir sa femme.
Par la suite, la Milice l’a fait
extraire de la prison de Riom, l’a torturé puis assassiné. Notre père a peut
être été le dernier des résistants à l’avoir vu vivant.
Le 22 juin 1944 à l’aube, un
groupe de SS pénétra en aboyant des « Raoust
Schnell » à profusion. Puis le 23 juin 1944, ils arrivèrent dans le
camp de concentration de Compiègne après un voyage dans des conditions très
pénibles. A Compiègne, ils furent répartis dans les bâtiments constituant la
section C.
Le 2 juillet au matin, les SS les
firent se lever avec la brutalité habituelle pour les emmener au train de
marchandises qui les attendait portes ouvertes.
Le commandant SS fit un discours.
« Vous embarquerez dans ce train,
vous allez recevoir chacun un pain et de la charcuterie, mais en cas de
tentative d’évasion, tous ceux qui partagent votre wagon seront abattus,
fusillés ».
Les portes furent plombées, les
fenêtres grillagées ou obstruées. Il y avait environ une trentaine de wagons
avec cent personnes à l’intérieur. Ils durent s’asseoir de telle façon que
chacun était emboité dans les jambes de l’autre.
Dans son wagon, il y avait deux Républicains
Espagnols qui avaient déjà voyagé dans d’aussi affreuses conditions. Ils leur
dirent de ne pas parler, de respirer lentement, de ne pas paniquer.
Après des heures de ce voyage
infernal, notre père commençait à s’évanouir. Paul Champeau le gifla, ce qui
lui permit de revenir à la vie. Il faisait très chaud. Heureusement, il
commença à pleuvoir très fort, ce qui leur permit de s’abreuver avec l’eau qui
coulait par les fissures et de rester en vie. Enfin le train s’arrêta, les
portes s’ouvrirent, il vit une pancarte « Dachau » . Ils
descendirent sous les aboiements habituels. Devant eux, s’ouvrait un énorme
porche avec un immense écriteau « Arbeit
macht frei », ce qui signifiait « Le
travail rend libre ».
Ils étaient moins nombreux,
beaucoup moins qu’au départ. Par la suite, il apprit qu’il avait voyagé dans
l’un des deux seuls wagons où personne n’avait succombé durant cet interminable
trajet qui avait duré 4 jours du 2 juillet au 5 juillet 1944. On dénombrera 519
victimes qui furent directement transférées dans les fours crématoires.
Ce train sera surnommé le Train
de la Mort, récit relaté dans un livre écrit par Christian BERNADAC « Le train de la mort ». C’était
le convoi 7909, le dernier convoi à destination de Dachau. Notre père avait le
matricule 77929.
Le 20 juillet, ils apprirent
l’attentat contre Hitler. Ce jour là, ils furent transférés dans les camps du
NECKAR pour travailler dans les mines et les usines où se fabriquaient des avions. Puis un jour de
mars, on le transféra du camp 2 tout près de la mine-usine jusqu’au camp de
NECKARGERACH. Il y rejoint ses camarades survivants du maquis de la Pourière et
de la prison de Riom, tout du moins le peu qu’il en restait.
A la mi-mars, ils étaient cantonnés dans leur
baraque, complètement nus. Il faisait très froid cet hiver 1945, les avions
anglais survolèrent le camp et une bombe tomba sur la baraque juste sur le
poêle qui s’enfonça d’un demi-mètre.
C’était le seul petit espace où il n’y avait personne. Notre père était à 2m du
point de chute.
Peu de jours après, on les réunit
dans la cour du camp et il leur fut distribué des costumes de bagnards, calots
compris mais pas de chaussures.
Le 30 mars 1945, on les chargea
dans un train à wagons-plateaux, le train partit lentement, fit plusieurs
aller-retour sous les bombardements puis s’arrêta définitivement sur une voie
de garage dans un ravin.
Le 1er avril 1945, il
prit le risque de sortir. Après avoir partagé et mangé un escargot avec son ami
Paul Champeau, ils se hissèrent sur le talus et se dirigèrent vers la ville, la
ville d’Osterburken dans le Bade. Il sera suivi par plusieurs autres déportés.
Il rejoindra les troupes américaines et sera interprète
allemand-anglais-français.
Le 16 avril 1945, il sera remis
aux Forces Françaises et transféré à l’hôpital de Spire pour repos.
Le 30 avril, il arrivera à l’Hôtel
Lutetia à Paris, puis retrouvera sa famille le 1er mai.
Après ces terribles épreuves, il
se demanda dans quel monde il vivait. Il lui fallut des années avant qu’il
reparle de cette guerre atroce.
Aujourd’hui il repose au
cimetière de Montparnasse à Paris. J’espère que son esprit est en paix.
|