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Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation de l'Allier
 
LE CADRE née BRAGUIER Hélène
 
 
Archives de la famille

Hélène LE CADRE, de son de jeune fille BRAGUIER, est née le 26 mai 1911 à Huriel (Allier). Son père Joseph  est professeur adjoint au Lycée de Montluçon et sa mère Berthe née BOURGOUGNON est  sans profession. Elle fait deux ans d'études à Paris à l'Hôpital des Enfants malades pour préparer le diplôme d'assistante scolaire. Malheureusement ce diplôme n'est pas reconnu par l'Etat et Hélène se retrouve sans emploi.
Le 29 octobre 1932 à Cusset (03) elle épouse Edouard Charles LE CADRE, artisan électricien né le 2 février 1909 à Paris. Ils habitent 9, rue de la Paix à Cusset.

Source de la photo ci-contre: Archives de la famille.


 

Elle trouve un poste d'institutrice intérimaire à Montaiguët-en-Forez (Allier) du mois d'avril 1940 jusqu'à fin septembre 1940. Elle apprend à taper à la machine à écrire seule et le 5 mai 1941 elle entre comme dactylographe au Sous-Secrétariat d'Etat à l'Aviation section Oeuvres Sociales de l'Air.

La militante et la résistante

Elle adhère au Secours Ouvrier International, puis aux Jeunesses Communistes et au Parti Communiste. Elle appartient à une organisation féminine qui est une reconstitution clandestine du Comité Mondial contre la Guerre et le Fascisme et qui allait devenir plus tard, dans la légalité, l'Union des Femmes Françaises. Son mari, Edouard, est secrétaire de la section du PCF de Vichy, elle en est la trésorière. Elle collecte les cotisations, imprime et distribue des tracts qui appellent les femmes à manifester aux Halles de Vichy contre la Relève, ce système inique qui prévoit le départ volontaire de trois ouvriers contre le retour d'un prisonnier de guerre. Elle est chargée aussi du Service de Renseignements du Capitaine LEFORT qui constitue un groupe de résistance à Cusset appelé Compagnie Saint-Just, puis le 203ème Bataillon F.T.P.F.
 
 
Archives de la famille
Source du document ci-dessus: Archives de la famille.

 

L'arrestation

Le dimanche matin 14 mars 1943, la Police Spéciale de Vichy perquisitionne chez 16 personnes de Cusset «susceptibles de se livrer à une activité communiste». Son mari qui figure sur la liste est arrêté bien que rien les concernant n'ait été trouvé à leur domicile.

Un peu plus tard dans la matinée, nouvelle perquisition chez les LE CADRE, car des tracts ont été trouvés chez une des personnes figurant sur la liste des 16. Cette personne a reconnu – par «naïveté» selon les propres termes d'Hélène- que les tracts lui avaient été apportés par Madame LE CADRE. Au cours de cette nouvelle perquisition, les policiers trouvent dans la vitrine du salon «un étui contenant un revolver à barillet et six cartouches à broche, une boîte métallique contenant des caractères d'imprimerie en caoutchouc, un tampon encreur».

Cette fois, c'est Hélène qui est accusée, arrêtée et emmenée au Commissariat de Cusset où elle va subir deux interrogatoires dont elle refuse de signer le procès-verbal. Quant à son mari, il est accusé de «détention d'arme à feu et de munitions».

De prison en prison

Hélène et Edouard sont transférés à la Maison d'Arrêt de Cusset. Grâce à son avocat qui démontre que le revolver n'est qu'«une arme de salon tout à fait inoffensive», Edouard obtient un non-lieu, est libéré et rejoint un maquis. Mais pour Hélène internée ce lundi 15 mars 1943, c'est le début d'une longue suite d'emprisonnements et elle ne retrouvera sa maison que le 2 juillet 1945.

Inculpée par le Juge d'Instruction de Cusset, elle est conduite le 8 avril à la prison de Riom «en compagnie de la personne qui avait donné son nom». La prison est infecte, l'hygiène absente, pour la toilette il n'y a que le lavoir dans la cour.

Le 13 avril elle est jugée par la Section Spéciale de la Cour d'Appel de Riom et condamnée pour «détention et mise en circulation de tracts d'inspiration communiste» à quinze mois d'emprisonnement et deux cents francs d'amende. Son avocat commis d'office plaidera sa cause avec conviction, mais dans l'indifférence générale.

Elle devrait donc être libérée le 15 juin 1944. Mais en mars 1944 un projet d'évasion avec une camarade échoue suite à la dénonciation par un prisonnier de droit commun. Elle est alors transférée le 16 mars 1944 à la prison Saint-Joseph de Lyon pour être regroupée avec d'autres prisonniers politiques. Elle ne reste que huit jours à Lyon avant de partir pour la prison de Châlons-sur-Marne où elle subit son premier bombardement et entend les exécutions de résistants à quelques mètres de sa cellule.

Le 2 mai 1944 nouveau départ. Alors qu'elle pense être dirigée vers l'Allemagne, c'est au Fort de Romainville qu'elle arrive. Elle reçoit le matricule N° 5165.

Le Fort de Romainville

Ce fort militaire est situé sur la commune des Lilas en Seine-Saint-Denis au nord-est de Paris. Il accueille d'abord des prisonniers de guerre et des otages, dont certains seront fusillés au Mont-Valérien. Puis à partir de 1943 il devient l'antichambre de la déportation avant de servir de prison pour femmes en 1944.

Photographie, prise à la Libération, des casemates où étaient enfermés des détenus. Source: Les oubliés de Romainville un camp allemand en France (1940-1944) par Thomas Fontaine Editions Taillandier mai 2005

 

La déportation

Le 13 mai 1944 par le convoi référencé I.212 ce sont 567 femmes, en majorité des résistantes, qui sont extraites du Fort de Romainville, conduites à la gare de l'Est et embarquées dans des wagons à bestiaux. Après un voyage de cinq jours sans boire c'est l'arrivée à Ravensbrück de nuit. Réception avec phares braqués sur elles, les chiens, les cris, bousculades. Elles passeront une trentaine d'heures debout sous la pluie.
 
 
 

Le camp de Ravensbrück

Situé à 80 Km au nord-est de Berlin près du lac de Furstenberg, il reçut un premier convoi de 867 femmes le 13 mai 1939.

Ce camp pour femmes était très cosmopolite – 23 nationalités y étaient représentées- mais aussi très «rentable», car les déportées étaient louées 5 à 7 marks par jour aux usines Siemens et Industriehof, installées à proximité et la durée du travail pouvait atteindre 12 voire 14 heures par jour.

Quand elles ne mouraient pas d'épuisement, «la mort lente», les femmes étaient soumises à des exécutions sommaires, des expériences médicales: infection par staphylocoques, gangrène gazeuse, vivisection, stérilisations y compris sur des fillettes.

Même les femmes enceintes étaient déportées à Ravensbrück. Les médecins S.S. reçurent en 1942 l'ordre de faire avorter toutes celles dont la grossesse était inférieure à 8 mois. En 1943 l'un de ces tortionnaires, le docteur Treite, jugea préférable d'attendre l'accouchement et de faire étrangler ou noyer l'enfant en présence de la mère. A la fin de la même année une nouvelle décision permit de laisser la vie aux nouveaux-nés, mais rien n'était prévu pour les accueillir.

De 1943 à 1945 sont nés 863 enfants à Ravensbrück, presque tous morts de faim et de froid.

Source: Le grand livre de la Déportation F.N.D.I.R.P. 1968
 
 
 

Lors de la quarantaine, Hélène découvre de son block 15 le monde concentrationnaire: «Nous voyons soudain passer un important cortège de femmes alignées cinq par cinq, dont la plupart ont la tête tondue. Vêtues de la fameuse tenue rayée, elles vont nu-pieds, chaussées d'une simple planchette de bois retenue par une courroie: des claquettes. Elles défilent ainsi par centaines, portant sur l'épaule une bêche, une pioche, une pelle». Pendant cette période Hélène et ses camarades ne sortent du block que le matin et le soir pour l'appel

Elle réalise qu'elle est arrivée dans un bagne absurde où tout concourt à l'humiliation, la déchéance, la mort: la sous-alimentation, le travail forcé, l'absence d'hygiène, les expériences médicales, le sadisme des Nazis.

23 nationalités sont représentées et le manque de compréhension qui en résulte donne lieu à des pugilats, pugilats suivis de punitions. Il faut alors

« planter», c'est-à-dire rester debout pendant des heures et des heures dans le froid glacial. Les surveillantes nazies, les «Aufseherinen», frappent pour un rien. Hélène subit plusieurs «corrections».

La faim est une obsession: le jour c'est un sujet de conversation, la nuit elle hante les rêves. C'est aussi une souffrance « la faim devient une douleur, c'est comme une vrille qui s'enfonce dans l'estomac» déclare-t-elle.

Un jour alors qu'elle a travaillé toute la journée et qu'elles ont dû «planter» pendant une journée suite à l'évasion d'une Russe il lui est arrivé de penser aux fils électrifiés pour se suicider. Ce sera la seule fois.

Elle échappera par trois fois aux sélections pour la chambre à gaz qui se trouve à Ravensbrück.

Immatriculée N° 39076, elle quitte Ravensbrück le 7 juillet 1944 pour le kommando de Watenstedt qui dépend de Neuengamme. Elle y reçoit un nouveau matricule, le N° 4767, et travaille dans l'usine Hermann Goering à la fabrication d'obus: il s'agit de faire des rainures au culot de l'obus pour y mettre des bagues. Les journées ou les nuits sont longues: 12 heures, le travail est pénible. Mais la flamme de la résistance n'est pas éteinte en elle: elle sabote régulièrement, mais intelligemment les obus ou la machine, mais de peur d'être dénoncée n'en parle à personne.

L'aviation alliée bombarde la zone et Hélène est affectée au terrassement et au déblaiement des voies ferrées. Il fait moins 25° en ce mois de janvier 1945. Se couvrir pour se protéger du froid est sévèrement puni par les surveillantes.

Le 8 avril 1945 au soir, elle se trouve au Revier totalement épuisée avec ses camarades malades elle est évacuée de Watenstedt dans un wagon découvert et pendant 6 jours elles vont sillonner l'Allemagne pour arriver finalement à Ravensbrück.
 
 

«Les prisonnières de Watenstedt furent en partie expédiées à Hanovre et subirent le sort de celles qui les y avaient précédées. Les autres, après un voyage de six jours et six nuits dans des wagons à bestiaux, se retrouvèrent à Ravensbrück où elles eurent la chance d'arriver après la destruction de la chambre à gaz (1er avril 1945) et avant la libération par la Suède (23 avril) dont elles bénéficièrent.» Germaine TILLION dans Revue d'Histoire de la 2ème guerre mondiale N°15-16 1954.

Atteinte de dysenterie et d'une bronchite contractée dans le train elle ne peut s'alimenter ni se tenir debout.

La libération

Suite à un accord entre Himmler et le comte Bernadotte Hélène et ses camarades françaises – elles sont environs 300 selon Germaine TILLION- sont enfin évacuées le 23 avril 1945 par des ambulances de la Croix-Rouge suédoise. Trop faible pour monter seule dans le véhicule ce sont ses camarades qui la hissent à l'intérieur. La frontière est franchie à Padborg au Danemark et le voyage se poursuit jusqu'à Copenhague, puis en train sanitaire et bateau le 27 avril en Suède à Malmö «dans un état de cachexie avancé provoqué par la malnutrition et le travail épuisant» ainsi que la dysenterie.
 
 
Archives Nationales de Suède

Carte remplie par Hélène LE CADRE à son arrivée en Suède. En bas à droite la date d'entrée: le 27 avril 1945.

Source du document ci-contre: Archives Nationales Suédoises.

Transférée le 1er mai à l'Ecole «Mon Bijou» à Malmö, elle doit être hospitalisée le 3 mai à Katrineholm, puis le 6 juin à Vislanda et Grimslöv.

 

Dans son livre Ravensbrück Germaine TILLION écrit: «Après le 23 avril 1945, grâce aux soins intelligents des sauveteurs suédois, les prisonnières enlevées par eux eurent une des mortalités les plus faibles de tout le sédiment concentrationnaire, mais pour obtenir ce résultat ils nous gardèrent plusieurs semaines dans un centre de repos».

Le 29 juin 1945, Hélène LE CADRE quitte la Suède par l'aéroport de Bromma à Stockholm et atterrit au Bourget où elle est reçue par la Croix Rouge. Elle est dirigée vers Ivry pour un examen médical et répondre à un questionnaire et de là à l'Hôtel Lutétia.

 
Source des documents ci-dessus: AFMD 75.

Elle arrive à Vichy le 2 juillet à 4 heures du matin.
 
Elle adhère à l'Association des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes de l'Allier.

Selon le Service Historique de la Défense (Dossier  GR 16 P 87190), elle est homologuée en tant que Résistante au titre  des D.I.R. (Déportés et Internés de la Résistance).

 La carte de Déporté Résistant N° 2.011.30904  lui est attribuée sur décision du Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre en date du 6 septembre 1957.



Source du document de gauche: Archives de l'Association des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes de l'Allier. 

Source du document de droite: Archives de la famille.


 

Le témoignage

Toute sa vie Hélène LE CADRE portera témoignage de son expérience concentrationnaire en adhérant à la section Vichy-Cusset-Bellerive de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes). En 1987 elle publie le récit de son cauchemar dans une brochure au titre ironique Villégiatures spéciales. Ô combien spéciales! Elle participe aussi à des conférences sur la Déportation. Enfin le 11 décembre 1997 elle accorde un entretien à l'AFMD de l'Allier qui recueille son témoignage audio.

Hélène LE CADRE est décédée le 3 octobre 2000 à Vichy (Allier).

Sources:

- Archives Départementales de l'Allier 996 W (778 W 10.1), 1864 W 1, 778 W 7.4,
 
- Archives Départementales du Puy-de-Dôme 107 W 386
 
- Archives de la famille
 
- Archives Municipales de Cusset

- Archives Nationales de Suède

- Archives de l'Association des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes de l'Allier

- Centre Historique des Archives Nationales (F9 5578)

- Direction Interdépartementale des Anciens Combattants

- Fédération Nationale des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes Le grand livre de la Déportation Edition Le Patriote Résistant 1968

- FONTAINE Thomas Les oubliés de Romainville: un camp allemand en France (1940-1944) Editions Taillandier mai 2005

- Livre mémorial de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation Editions Tirésias 2004

- Mémorial des Français Déportés à Neuengamme  Amicale de Neuengamme

- Office Départemental des Anciens Combattants de l'Allier

- SÉRÉZAT André dans une biographie d'Hélène LE CADRE

- Service Historique de la Défense (Dossier  GR 16 P 87190)

- Témoignage audio d'Hélène LE CADRE recueilli par l'AFMD le 11 décembre 1997

- Témoignage écrit Villégiatures spéciales par Hélène LE CADRE, 5 juin 1987

- TILLION Germaine dans Revue d'Histoire de la 2ème Guerre Mondiale N°15-16 1954, Ravensbrück Editions Le Seuil 1988
 

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